A 32 km de la frontière allemande, dans l’arrière-pays autrichien, non loin de la ville de Salzbourg, se trouve un exemple concret des problèmes causés par la guerre du gaz russe. Un tollé autour du réservoir de gaz géant de Haidach monte alors que Moscou a annoncé lundi 25 juillet une réduction significative de la livraison du précieux hydrocarbure à l’Europe à partir du gazoduc Nord Stream 1. Quelques heures avant cette décision russe, Leonore Gewessler, ministre autrichienne de l’Energie et de l’Environnement, a informé la presse allemande que le réservoir de Haidach sera désormais utilisé pour répondre aux besoins énergétiques des Autrichiens.

Le deuxième plus grand réservoir de gaz naturel d’Europe occidentale

Une annonce qui a fait frissonner les habitants de nombreux États fédéraux (régions administratives allemandes) du sud de l’Allemagne, à commencer par la très puissante Bavière. En effet, pour des raisons historiques et économiques, le site de Haidach, bien que situé en Autriche, était jusqu’à présent uniquement raccordé au réseau énergétique allemand et servait principalement à alimenter en électricité la Bavière. “Nous observons l’évolution de la situation [à Haidach, NDLR] avec beaucoup d’inquiétude », a admis Markus Söder, ministre-président bavarois. Cette région s’était habituée au fil des ans à sa dépendance énergétique vis-à-vis de Haidach. Ce réservoir peut contenir 2,9 milliards de m3 de gaz naturel, ce qui en fait le deuxième plus grand d’Europe occidentale après Rehden (nord de l’Allemagne). Il y avait donc de quoi étancher la soif d’énergie du sud de l’Allemagne. Depuis son lancement en 2007, le site est exploité par Wingas et Astora, deux filiales de Gazprom Germania (nationalisée par Berlin en avril 2022), et GSA, une autre branche du géant russe. L’Autriche ne gère que techniquement l’installation. Une division du travail très germano-centrée qui explique, en partie, pourquoi ce gaz est revenu en Allemagne au lieu de rester sur le sol autrichien. De quoi faire des affaires pour la Bavière, qui n’a pas manqué l’occasion de rappeler que l’Autriche bénéficiait également de ce système, puisque le surplus de gaz naturel était alors redirigé vers deux régions autrichiennes (Tyrol et Vorarlberg) raccordées au gazoduc allemand. Mais la guerre en Ukraine a changé la donne pour Vienne. L’Autriche dépend à 80% du gaz russe, ce qui place le pays en tête de liste de ceux qui ont le plus à perdre si la Russie ferme complètement le robinet.

La Bavière, d’enfant gâté à parent pauvre en gaz ?

Ainsi, en mai, le gouvernement autrichien a proposé un plan censé réduire cette dépendance à… 70 %. Pour s’emparer de ces quelques pourcentages d’« indépendance » énergétique, Vienne doit augmenter au maximum ses réserves stratégiques pour disposer d’un coussin de sécurité en gaz naturel. Le plan prévoit de les tripler, explique le journal autrichien Salzburger Nachrichten. L’immense réservoir de Haidach joue un rôle central à cet égard. Le gouvernement autrichien est prêt à retirer l’artillerie lourde en expulsant Gazprom du tableau afin que ce char permette au pays de passer l’hiver au chaud. En effet, le géant russe ne fournit plus ce réservoir presque vide, a constaté le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung, en tirant les données de la plateforme européenne Gas Infrastructure Europe (GIE). L’Autriche a donc adopté une loi permettant à l’exploitant d’un réservoir d’être informé de son remplissage. Si ce dernier ne s’y conforme pas, le gouvernement annule le droit de proposer à d’autres d’y stocker leur gaz naturel. Si cette menace peut sembler importante, il n’en demeure pas moins « qu’on ne sait pas qui pourrait remplir ce réservoir à part les Russes », note Bayerischer Rundfunk, la radio publique bavaroise. Pourtant, tout cet appareil a suffi à effrayer la Bavière, qui se voit déjà passer du statut d’enfant gâté du gaz russe à son parent pauvre. Vienne et Berlin tentent d’apaiser le puissant Land du sud de l’Allemagne. Le ministre allemand de l’Economie Robert Hambeck s’est rendu à Vienne le 12 juillet pour discuter de l’épineuse question de l’avenir de ce réservoir avec la ministre autrichienne de l’Energie Leonore Gevesler. A l’occasion de cette rencontre, un accord sur l’utilisation conjointe germano-autrichienne de Haidach aurait été conclu, selon la Süddeutsche Zeitung. Mais Munich – la capitale du Land de Bavière – veut des preuves. Markus Söder, qui n’aimait pas ne pas être invité à cette rencontre germano-autrichienne, souhaiterait “plus de transparence sur cet accord et une information claire sur la quantité de gaz naturel de Haidach à destination de l’Allemagne”.

Extorsion financière

Pour le ministre-président bavarois, le réservoir de Haidach pourrait très vite illustrer les “limites de la solidarité” énergétique soutenue par l’Union européenne, a-t-il déclaré au journal munichois Merkur. Il craint que, l’hiver venu, le gouvernement autrichien ne soit tenté d’ignorer son accord avec Berlin pour couvrir les besoins énergétiques de sa population grâce aux réserves de Haidach. L’inquiétude bavaroise s’explique aussi par le fait que le changement de situation à Haidach met en lumière l’extrême fragilité de l’approvisionnement énergétique du sud de l’Allemagne. Ces zones – principalement la Bavière et le Bade-Wurtemberg – sont éloignées des grands réservoirs du nord du pays, comme Rehden. “Nous sommes les derniers maillons de la chaîne et si, au nord, ils se servent sans retenue, il ne nous restera plus une goutte, ce qui serait inacceptable”, a prévenu Nicole Hoffmeister-Kraut, ministre de l’Economie de la Terre. du Bade-Wurtemberg. Les terminaux de gaz liquéfié, qui sont installés au large des côtes du nord de l’Allemagne pour recevoir le gaz naturel nord-américain, sont également “trop ​​éloignés de la Bavière pour desservir correctement cette région”, a noté le journal Die Zeit. Sentant que l’hiver allait être particulièrement rigoureux pour lui et ses compatriotes bavarois, Markus Söder lance un dernier avertissement, affirmant que « si la Bavière est privée de gaz naturel, c’est toute l’Allemagne qui en souffrira ». L’État fédéral représente à lui seul, il est vrai, 18,3 % du PIB de l’Allemagne, grâce notamment à son industrie chimique et à son secteur automobile, rappelle la Süddeutsche Zeitung. A quelques kilomètres de la frontière autrichienne se trouve ce que les Allemands appellent le “triangle d’or de la chimie allemande”. Un domaine d’activité qui est l’un des fleurons de toute la Terre et qui a pris de l’importance grâce à l’accès facile au gaz naturel de Haidach. Si ce « triangle d’or » était privé d’énergie autrichienne, près de 20 000 emplois seraient menacés.